Lorsqu’il descend de l’avion en provenance d’Afrique, Vincent est un homme blessé. Il revient après quinze ans d’absence, mais rien ni personne ne semble l’attendre dans son petit village du Centre où vivent encore l’oncle Georges et la tante Marie, propriétaires de l’auberge du Pont à Damery, ainsi que François, leur fils, et Julie, sa compagne, qui élèvent des chevaux dans une ferme des environs. Au cours de ses longues promenades dans la grande chênaie séculaire de Tronçais, Vincent découvre un domaine abandonné, La Rouvraie. Au milieu des vestiges, il retrouve les traces d’Hélène, sa petite fiancée du pont de l’Aumance. Qu’est-elle devenue ? A partir de cet instant, Vincent se lance dans une longue enquête. Les lettres et les petits carnets noirs collectés dans la maison, les personnages étranges rencontrés au cours de ses recherches ne feront qu’épaissir un peu plus le mystère : Mathilde dans sa chambre de l’hospice, le Grand Duc et son doberman, le gros Léo et son faciès de carpe.
Irena, veuve et mère à la fois, réfugiée à Paris à la fin des années soixante, et de retour à Prague vingt ans après ; son ami Gustaf, entrepreneur suédois ; Milada, vieille complice d’enfance ; Josef, également de retour en Bohême, dans une Tchéquie post-révolutionnaire et post-communiste. Des émigrés sans patrie, arrimés à leur passé qui s’est malgré tout échappé, des individus ordinaires chargés du poids lourd de leur existence, mutilés et blessés dans leur chair. Les destins se croisent, se manquent, se cognent. Construit en 53 petits tableaux, L’Ignorance est ponctué de discours philosophiques et de remarques géopolitiques articulés autour du Printemps de Prague, en 1968, et de la Révolution de velours, en 1989, de commentaires sur le voyage homérique et le retour d’Ulysse à Ithaque. Car voilà un récit polyphonique qui pourrait se calquer sur l’Odyssée. Sans grande pompe au débarcadère mais plutôt avec une désillusion dans cette quête improbable de l’identité, ici ou ailleurs, passée ou présente, où l’on se cherche, désespérément ignorant.
Un jeune homme de vingt-trois ans a quitté son pays de façon précipitée. Un homme épuisé y retourne, trente-trois ans plus tard. Le jeune homme est passé de l’étouffante chaleur de Port-au-Prince à l’interminable hiver de Montréal. Du Sud au Nord. De la jeunesse à l’âge mûr. Entre ces deux pôles se trouve coincé le temps pourri de l’exil.
Une nuit, un coup de fil lui apprend le décès de son père à New York. Ce père qu’il n’a pratiquement vu qu’en photo. Cet événement le fait quitter la baignoire pour prendre la route. D’abord n’importe où, vers le nord ; comme un adieu à cet univers de glace qui l’a tenu au frais si longtemps. Puis à New York pour les funérailles de son père, que l’exil avait rendu fou. Et le voici à Port-au-Prince, où il se terre dans une chambre à l’hôtel, n’osant regarder cette ville qu’il a tant rêvée là-bas dans sa baignoire, à Montréal.
